Hommage à Sheila Waters (1929-2022)

Texte par Claire Bourassa
Révision par Diane Rioux 

Il y a maintenant plus d’un an s’éteignait Sheila Waters, surnommée la « reine de la calligraphie ». J’ai eu la chance de connaître son œuvre grâce à Lorna Mulligan qui, lors d’un cours de Foundational au printemps 2019, avait recommandé à ses élèves son « livre testament » : Foundations of Calligraphy. Afin de lui rendre hommage, trois anciennes présidentes de La Société des calligraphes de Montréal, Cynthia Garinther (1994 – 1995), Kathy Feig (1995 – 1997) et Yolande Lessard (2015 – 2017), ont répondu à mon appel et ont voulu témoigner de leurs rencontres avec Sheila et de l’importance qu’elle a eue sur leurs parcours, notamment lors de deux ateliers donnés aux membres en 1981 et 2016 à Montréal.

Sheila Waters est née en 1929 en Angleterre et a terminé sa formation académique en calligraphie au Royal College of Art de Londres en 1951. Elle a eu comme professeure Dorothy Mahoney, elle-même formée par le grand Edward Johnston. Dans la vidéo de la Heritage Crafts Association du Royaume-Uni datant d’avril 2021, son fils, Julian Waters, témoigne que Sheila a toujours été très consciente de la qualité de sa formation et habitée par le désir de transmettre ses connaissances, particulièrement lors de son arrivée aux États-Unis en 1971. Son mari, Peter Waters, relieur réputé, est alors nommé chef de la conservation à la Library of Congress de Washington à la suite de son travail de restauration des livres anciens lors de l’inondation de Florence en 1966. En 1972, Sheila s’implique en démarrant un programme de formation en calligraphie au Smithsonian Institute pour les membres associés. En 1976, elle est la première présidente de la Washington Calligraphers Guild et fait partie des membres fondateurs avec certains de ses meilleurs élèves.

Un premier atelier en 1981 à Montréal

Selon Cynthia Garinther, en 1980, au tout début de La Société, alors que toutes les associations de calligraphie en Amérique du nord étaient en pleine expansion, deux calligraphes anglais y ont joué un rôle majeur : Donald Jackson et… Sheila Waters.

Cynthia explique le contexte :
« En 1981, je faisais partie des sept membres fondateurs de La Société des Calligraphes de Montréal. À la suggestion de notre première présidente, Trudy Novack, nous avons décidé d’inviter Sheila à offrir un atelier à Montréal en 1981. Nous avions auparavant invité Donald Jackson. Tous deux sont membres de la Society of Scribes and Illuminators de Londres. En tant que jeune société nouvellement créée, nous nous sommes sentis très privilégiés d’accueillir ces deux calligraphes qui étaient responsables de la relance de la calligraphie aux États-Unis. Sheila à Washington et Donald en Californie ont créé de nouvelles sociétés de calligraphie. Cet atelier fut un grand succès et a été le début de 40 ans d’admiration pour le travail de Sheila Waters et de son amitié envers notre société ! Je suis très reconnaissante de l’avoir connue en tant que personne et modèle. Elle manquera à tant de personnes, mais son héritage perdure. »

Kathy Feig était aussi présente lors de cet atelier en 1981 : « C’était un atelier de quatre jours et nous avons travaillé l’italique avec les majuscules d’ornement ainsi que les capitales romaines. Sheila est vraiment la meilleure professeure de calligraphie que j’ai eue ! Elle m’a beaucoup aidée à développer ma confiance en moi et ma façon de penser.»

Une page du cahier de notes de l’atelier de 1981 de Sheila Waters avec l’italique. Selon Julian, c’est un exemple d’écriture libre sans lignes guides. Photo : Kathy Feig

Un atelier privé bien spécial en 1986

Cynthia et Kathy ont particulièrement apprécié l’atelier privé donné par Sheila à la maison de Kathy. Cynthia explique l’impact qu’a eu Sheila Waters : « Cela a été un tournant pour notre groupe car Sheila a pris du temps avec chacun de nous, afin que nous puissions nous concentrer sur les compétences qui devaient être améliorées. Elle nous a également encouragés à devenir enseignants, elle a contribué à bâtir notre confiance ! »

Atelier « mère-fils » en mai 2016 : Perspective de 100 ans en calligraphie

En 2016, Sheila et son fils Julian viennent à Montréal pour présenter le livre de Sheila : Waters Rising – Letters from Florence, lors d’un congrès conjoint du American Institute of Conservation et de l’Association canadienne pour la conservation et la restauration des biens culturels. Julian a pris soin de contacter Kathy, alors responsable des ateliers internationaux, pour organiser un atelier et une causerie sur ce livre à l’église St-Andrew and St-Paul. Sheila présente également le livre qu’elle avait calligraphié en 1965 : The Clerestory Memorial Windows – The Church of St-Andrew and St-Paul ou The Remembrance Book (titre court) qu’elle avait conçu spécialement pour cette église presbytérienne, située en face du Musée des beaux-arts de Montréal.

Yolande Lessard est alors présidente et a l’honneur de les accueillir chez elle pendant ce séjour : « L’atmosphère était détendue, Julian était très près de sa mère. Sheila aimait parler des sujets d’actualité. Alors âgée de 86 ans, elle avait encore l’esprit vif. Un soir à la maison, je lui ai présenté mon travail de calligraphie et elle m’a généreusement guidée. »

L’atelier de 2016 : Sheila Waters, Cynthia Garinther, Julian Waters, Kathy Feig et Yolande Lessard. Photo : Bernard Pontbriand

Une vraie pédagogue

Cynthia :
« Sheila était une enseignante patiente et pleine d’humour. Elle nous encourageait toujours à nous surpasser. Compte tenu de son grand talent de calligraphe et d’illustratrice, elle était très humble. Nous avons adoré entendre toutes ses histoires en tant que jeune calligraphe à Londres, et en particulier sur sa vie de famille. Sheila m’a appris à “voir”... en particulier tous les espaces blancs autour des lettres.... ses variations d’italique m’ont également appris ce que signifiait “texture”. Ses principes de mise en page et de conception ont été les enseignements et les leçons pratiques les plus précieux à l’époque. J’étais une jeune calligraphe essayant de gagner sa vie en enseignant et en travaillant à la pige. Les parchemins, les hommages, les certificats et les menus des restaurants étaient en demande. J’étais tellement reconnaissante car ses principes de base m’ont donné confiance et m’ont permis de plonger dans ces projets. Julian nous a enseigné la gothique 1 ... les deux ont joué un rôle déterminant dans mon parcours calligraphique. »

Kathy :
« Elle a été si généreuse de partager ses connaissances avec nous. Même après une longue journée d’enseignement, elle était le genre d’enseignante qui restait pour aider après le cours. Pour Sheila, un échauffement de 15 minutes était fondamental pour préparer le corps et l’esprit avant de calligraphier. Tracer les lignes sur votre papier fait partie de la méditation, vous vous préparez pour le lettrage. »

Yolande :
« Pour enseigner, il faut se mettre à la place de l’élève, ressentir ses craintes et lui redonner confiance afin de le faire avancer dans son cheminement. Sheila était capable de cela. Elle pouvait rapidement formuler ses recommandations pour que tu améliores ton travail. »

Yolande Lessard nous présente l’imposant cahier de notes de l’atelier de 2016 ainsi que le cadeau que lui a remis Sheila lors de son séjour chez elle : Sheila Waters at Eighty: A Retrospective. Photo : Claire Bourassa

Le legs de Sheila : Keep learning every day!

Kathy a noté une citation de Sheila à propos de la formation continue et de la poursuite de l’excellence : « Quand vous pensez avoir atteint 10 sur une échelle de 1 à 10, regardez dans une autre direction. Il pourrait y avoir un autre 10 à atteindre. Vous vous améliorez toujours ! »

Yolande souligne l’importance que Sheila accordait à la constance du travail : « Don’t worry finding your style, Just work! - C’est vrai ! Il faut être persévérant ! Elle m’a remis un texte qui continue de m’inspirer : Calligraphy in the Pursuit of Excellence 2 , un exposé qu’elle avait donné lors d’une conférence : Letterforum Conference de la Washington Calligraphers Guild à Washington en 1988. »

En voici un court extrait :

Cette semaine, si vous vous sentez intimidé par la personne assise à côté de vous, rappelez-vous que vous n’êtes pas en compétition avec qui que ce soit d’autre que vous-même. (…) Votre travail consiste à améliorer votre propre conscience et à vous concentrer sur votre propre croissance. Cela ne signifie pas être irréfléchi ou irrespectueux, mais cela signifie ne pas être nerveux et découragé et avoir l’attitude positive que cette semaine sera une pure joie calligraphique dans tous les aspects de votre quête de l’excellence.

Sheila Waters

Le numéro spécial de la revue Scripsit : Sheila Waters and the Golden Thread. Julian a conçu et édité ce numéro en hommage à sa mère. Photo : Julian Waters

Sheila Waters sera toujours présente parmi nous grâce à son important legs comme pédagogue et calligraphe émérite. À Montréal, on peut voir une de ses œuvres, un livre calligraphié : The Clerestory Memorial Windows – The Church of St-Andrew and St-Paul 3 . Son mari, Peter Waters, avait collaboré à la reliure. Dans un prochain article, je vous raconterai la conception de ce livre.

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1 En novembre 1999, Julian a donné un atelier aux membres de la société : Gothic – Blackletter Variations.
2 https://www.calligraphersguild.org/calligraphy-in-the-pursuit-of-excellence
3 Le mémorial des vitraux de la clairevoie de l’église de St-Andrew and St-Paul. Ces vitraux contemporains sont situés au niveau supérieur, dans les côtés de la nef.

Pour mieux connaître Sheila Waters

Publications :

Cynthia recommande son livre : Foundations of Calligraphy, paru en 2006 et édité chez John Neal Books. Plus tôt cette année, cet éditeur a publié la cinquième édition avec une nouvelle couverture, une biographie mise à jour et 10 nouvelles images en couleur des œuvres de Sheila dans la section Gallery. Julian a collaboré avec l’éditeur pour cette édition.
https://www.johnnealbooks.com/product/foundations-of-calligraphy-by-sheila-waters-2023-edition

The Washington Calligraphers Guild a publié un numéro spécial de la revue Scriptsit sur Sheila Waters en 2022, préparé par Julian. On peut encore le commander directement de Julian: waterslettering@yahoo.com

Il y a une courte description de ce numéro spécial sur cette page web : https://www.calligraphersguild.org/scripsit

N.B. Julian a aussi quelques exemplaires de Waters Raising – Letters from Florence ainsi que d’autres publications à propos de Sheila.

Ressources électroniques :

The Washington Calligraphers Guild a consacré une de ses pages web à Sheila Waters : https://www.calligraphersguild.org/sheila-waters

À regarder : la vidéo de la Heritage Crafts Association du Royaume Uni datant d’avril 2021 (facebook Heritage Crafts). Sheila y explique quelques-unes de ses œuvres en compagnie de son fils Julian :
https://www.facebook.com/heritagecraftsassociation/videos/469450234277346

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